Qu’est-ce que le genre "nature writing" ?
Cette littérature naît de la contemplation et de la vie de l’homme dans les grands espaces sauvages (wild), au contact direct de la nature. Elle est donc quasi-universelle et remonte à des temps immémoriaux, l’urbanisation étant un phénomène très récent dans l’histoire de l’humanité.
Sans remonter trop loin, la pastorale des latins et la littérature allemande à partir de la fin du XVIIIe (à commencer par Von Humboldt) donnent déjà à voir des textes qui magnifient les éléments naturels. Dans son expression contemporaine, on localise néanmoins ses débuts formels dans les forêts du Massachussetts, qui se dessinent dans le Walden d’Henry David Thoreau (1854). Ebloui par la luxuriance et l’immensité de la Sierra Nevada et de la Yosemite Valley, son cadet de quelques années, John Muir portera ce genre littéraire à l’Ouest et inaugurera l’idée de National Parks préservés des assauts de l’homme, à la toute fin du XIXe siècle. C’est en lisant Un été dans la Sierra au-dessus d’Arriutort, avant d’atteindre le lac du Montagnon et sa fameuse forme en cœur, que l’idée de ce Festival est venue. Muir fut en outre un grand autodidacte (glaciologue) à l’instar d’un Pierrine Gaston Sacaze, du village de Béost (hameau de Bagès), en Vallée d’Ossau, berger qui s’imposa quelques décennies avant Muir, dans le champ de la botanique, par la contemplation d’abord, puis par de méthodiques et patientes collectes, études et classifications ensuite.
Bientôt, chaque Etat américain aura son outdoor novelist. Du Texas amérindien (bien plus que "Ranger") de Philip Meyer (The son, 2013) à l’Alaska hostile de John Krakauer (Into the Wild, 1996, rendu célèbre par l’adaptation cinématographique de Sean Penn), du Maine de Gérard Donovan (Julius Windsome, 2006) au Chant de la rivière de Barry Lopez (1979), ces récits ne se contentent pas de chroniquer la nature ; ils la transfigurent, en font le cadre de récits épiques, de traversées mouvementées, de cavalcades tantôt haletantes, tantôt contemplatives, profondes, parfois métaphysiques. Quel genre littéraire permet de passer un hiver dans les Rocheuses (Indian Creek, Pete Fromm, 1993) ou d’élever des bisons dans le Dakota du Sud (Wild Idea, Dan O’brien, 2014), de dévaler avec bonheur... et effroi le mythique fleuve Maskwa (The River, Peter Heller, 2021), ou de parcourir les montagnes scandinaves avant de s'installer dans une ferme (Celui qui a vu grandir la forêt, de Lina Nordquist, 2022) et des milliers d'autres endroits que l'on ne pourra probablement jamais traverser physiquement ? Nature Writing !
Ce genre s’est énormément développé aux Etats-Unis ces 30 dernières années, en contre-point du libéralisme et du bétonnage galopant, ainsi que du saccage systématique de toute norme environnementale sous l'administration Trump (mandat 1 et 2). Il a non seulement rencontré un fidèle public de lecteur en France, mais aussi trouvé ses figures de proue, tels Nicolas Bouvier ou, plus proche de nous, Sylvain Tesson, héritiers (anti)modernes de la geste de écrivains-aventuriers français du XIXe siècle... qui ne doivent pas (h)être les arbres qui cachent la forêt vivante et pluriel des écrivains-voyageurs contemporains, dans laquelle nous prélevons chaque année un vivier d'une quinzaine de specimen.
Si ce sont les écrivains des grands espaces nord-américains qui ont suscité notre projet, elle n’empêchera pas d’ouvrir notre espace mental et pyrénéen aux écrivains issus d’autres vastes territoires sauvages ou peu habités et fascinants. L’Argentine et l’Uruguay, importantes terres d’émigration basco-béarnaises, ont constitué des espaces fertiles pour une littérature sauvage. Est-il en outre nécessaire de préciser la fascination qu’ont suscité les panoramas situés plus au Sud de ces méridiens ; de l’Amazonie brésilienne des premiers ethnologues, jusqu’au Cap Horn, et à Ushuaïa, confins du continent, dont la toponymie marque l’imaginaire occidental ? Sans même parler de l’Océanie (en particulier la Polynésie) de Bougainville, Ségalen et Gauguin).
Ce critère des grands espaces nous conduira naturellement en Asie, où l’on pourra arpenter par exemple l’immensité des steppes mongoles en compagnie de l’écrivain chinois Jiang Rong, suivre Atiq Rahimi, écrivain afghan incluant de plus en plus la nature dans sa narration, mais aussi les continuateurs russes de Tchekov et Arseniev, ou leurs avatars ouest-européens. Au pied des Pyrénées, nous inviterons l’Afrique, du Nord (le Maroc et son riche patrimoine botanique notamment...) au Sud, où l’émerveillement des premiers ‘découvreurs’ (Stanley, Morgan, mais aussi le béarnais Eugène Cazalis…), laisse place à une littérature autochtone décrivant la savane, la brousse, les immenses lacs et fleuves est et ouest-africains (Mbaye Ndongo, Amadou Idé, Seydou Badian…), et cette faune, à la fois impressionnante et menacée qui les traversent. Avec toujours une bonne proportion de nos pyrénéistes, pour susciter le dialogue entre l'ici et l'ailleurs.
Sources américaines, confluences françaises sur les rivages desquelles des centaines de milliers de lecteurs ont installé leur campement ; les conditions nous paraissent réunies pour consacrer spécifiquement un festival littéraire à ce genre, en le posant au pied du Pic du Midi d’Ossau. Un déconfinement littéraire. Ces auteurs, amoureux transi de dame nature, et de la montagne en particulier accepteront sans difficultés de rejoindre nos Pyrénées béarnaises, a fortiori si le festival est aussi pour eux la promesse de quelques escapades montagnardes littéraires (que l’on organisera en clôture du festival).
Cédric Baylocq Sassoubre, président d'Ecrire la Nature (copyright ELN, juin 2022, révisé en avril 2025)