John Muir, stupéfait de la beauté de la vallée ossaloise
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« Sentir le vent, écouter le silence, être libre » : rencontre avec Jean Cazaban

Passionné des Pyrénées, Jean Cazaban est présenté ainsi par son éditrice : « Montagnard accompli, il est en quête d’absolu : admirer un paysage, sentir le vent, écouter le silence, être libre ». En écoutant Jean Cazaban ce 2 juin 2023, lors de la table ronde au cours de laquelle il parlait de son livre Au-delà des horizons. Atlantique-Méditerranée, Haute Route Pyrénéenne - 30 jours (MonHélios, 2020), on pouvait avec lui et dans ses mots « sentir le vent, écouter le silence, être libre » (4ème de couverture). 770 km parcourus en 30 jours, 43 615 mètres de dénivelé cumulé. Mais ce n’est pas d’exploit sportif qu’il est question. C’est d’une communion avec la montagne, d’une connexion avec chaque élément et chaque être de ces Pyrénées qu’il a parcourues d’ouest en est avec amour : pour les sentir, les voir, les écouter. Il en a fait un livre, non prévu au départ comme il le dit dans une interview sur Fréquence Luz lors de la présentation de son livre à à la librairie Plume d'Esquièze-Sère : « 756 km, 44015 m de dénivelé, 230 h de marche, une moyenne quotidienne de 26 km/jour pour une moyenne quotidienne de 1518 m de dénivelé... Et pourtant nulle notion d'exploit. Juste une découverte des Pyrénées d'ouest en est, sublimées par le montagnard qui vit un moment unique » [ https://www.frequenceluz.com/plus-est-fous-plus-lit/dela-horizons-jean-cazaban]. «Un mot par mètre de dénivelé », dit-il. Quelle plus belle façon d’allier écriture et montagne ?

Présenté ainsi sur sa quatrième de couverture, ce livre est le coup de cœur de l’éditrice Danièle Thomas : « Coup de coeur de la maison d'édition. Un récit ciselé où le montagnard magnifie les beautés pyrénéennes, faisant oublier l'effort physique » (https://www.monhelios.com/livre/305/au-dela_des_horizons.htm). Dans une table ronde où le dialogue autour des Pyrénées s’instaurait autour de ce livre de Jean Cazaban ainsi que de celui de Jean Eimer, Une traversée - Les Pyrénées de Hendaye à Banyuls par le GR10 (Cairn, 2021) et celui à deux voix de Marie Bruneau et Bertrand Genier, Ici commence le chemin des montagnes (Cairn, 2020), on entendait la voix de la montagne. C’est du livre de Jean Cazaban qu’il sera question ici.

*Jean Cazaban, au premier plan (en blanc), médiathèque de Laruns, Juin 2023*

Jean Cazaban n’est pas là pour vendre un livre mais pour parler de la montagne et dès ses premiers mots, on sent cette connexion avec la montagne et tous ses habitants, cette sensibilité qui lui permet de sentir la montagne à chaque pas, d’écouter son silence et son chant, qu’il nous laisse entendre dans son livre et dans ses mots. Ses descriptions pleines de poésie me rappellent la langue magnifique de Russell avec qui il partage un amour inconditionnel des Pyrénées et un style à la fois précis et flamboyant. La discrétion en plus. Et l’empathie, si claire. Avec Jean Cazaban, même les nuages ont de l’empathie : « [l]e plafond nuageux certainement pris d’empathie se fractionne alors, laissant filtrer le soleil » (52). Dans « les vastes pelouses des hauts de la vallée du Marcadau et de tous ses plas » où je me retrouve dans les pas de mon père au creux de cette vallée qu’il avait parcourue tant de fois avec ma mère et qu’il m’avait fait découvrir un jour où les prairies étaient constellées de fleurs multicolores, je revois dans les mots de Jean Cazaban et dans ma mémoire « les innombrables fleurs [qui] retrouvent leur sourire, les torrents [qui] bordent les rives d’écume bouillonnante » (52). Les fleurs qui « retrouvent leur sourire », « ri[e]nt au soleil » un peu plus loin (55). Ce monde de beauté est traduit par le rire des fleurs, la « pluie d’étoiles » « et les petits arcs-en-ciel dansant au gré des illusions d’optique » que deviennent les gouttes de rosée sur les hautes herbes. L’infiniment petit associé au cosmos et à l’infiniment grand. Et dans cette poésie, Jean Cazaban rappelle tant de moments de joie et de partage avec la montagne à tous ceux qui l’ont un jour parcourue et ont admiré son exceptionnelle beauté, si simple, si profonde.

Nul besoin de prévisions météorologiques à l’observateur qui connaît la montagne et fait resurgir des aptitudes que la plupart des gens pensent ne pas avoir, parce qu’ils ne savent plus les convoquer, parce qu’ils ne savent plus simplement regarder et écouter. La communion, la connexion avec la montagne, « fait resurgir des capacités jusqu’alors sclérosées. La lecture du ciel, la perception des senteurs, l’observation de comportements animaliers ou encore l’intuition s’affirmant, deviennent les meilleures alliées, notamment en matière de prévisions météorologiques » (186). Je pense aux mésanges dont le chant particulier annonce la pluie. Quand j’entends la mésange, je sais qu’il va pleuvoir avant même d’avoir entendu ou lu les prévisions. Elle est en train d’illustrer mes mots, tandis que j’écris en regardant la pluie tomber sur les arbres devant ma fenêtre. En ce moment, elle confirme, mais même quand le ciel est bleu et qu’elle fait entendre ce chant spécial, elle ne se trompe jamais. Je pense aussi à ce vieux paysan dans le Val d’Aran de ma grand-mère, qui, alors que le ciel était parfaitement bleu sans le moindre nuage, nous disait certains matins en regardant ce ciel d’un bleu si pur, « *il y aura un orage ce soir ». Et il y avait un orage le soir. Il savait lire le ciel et percevoir les senteurs que nous n’avions pas perçues.

Comme ses senteurs, ses sons et ses silences, les couleurs de la montagne sont dans la voix de Jean Cazaban. Il est peintre par les mots : les bleus de la montagne dans son chapitre « Montagne bleue » nous montrent un tableau en camaïeu qui nous parle : « L’heure est au bleu sur fond bleu quand terre et ciel s’accommodent », écrit Henry Bellan-Hutchery dans sa postface (189) : « un ciel d’azur sans fond dont le bleu se fonce à mesure que le regard s’élève, s’y perd, s’y noie » (160). « Les camaïeux de teintes de bleu» (161), les crêtes comme des « vagues vaporeuses et bleuâtres », « les bleus foncés […] au premier plan », et « [à] portée de pas, les Roques Banches sont bleu nuit ! » (161). On suit Jean Cazaban dans ce monde bleu, couleur du rêve, couleur de la communion de la terre et de l’air quand l’air peint les montagnes en bleu dans le lointain, couleur du passage du jour à la nuit et encore, on pense à Russell, « Du bleu dans la nature » [Henry Russell. « Du bleu dans la nature, » extrait du Bulletin de Biarritz-Association, Pau, novembre 1898, in Pyrenaica, Pau : imprimerie Vignancour, 1902.].

La beauté de la montagne et sa défense aussi, dans la simple description de cette beauté qui nous donne à réfléchir sur la préservation des rivières, leur pollution par des décharges et notre engagement, sur la vie des arbres et des espèces animales et végétales qui nous offrent cette beauté si fragile. La marche dans la nature qui nous fait prendre conscience de notre responsabilité envers elle. Quand Jean Cazaban évoque de manière si vibrante et si inspirante sa traversée des Pyrénées et sa manière de sentir la montagne, il nous guide vers un engagement envers elle.

En nous parlant de cette « translation horizontale […] du couchant vers le levant  » (184), Jean Cazaban nous fait non seulement voir et sentir les Pyrénées, mais il nous apprend ou réapprend la conscience du monde. Il nous rappelle que marcher dans la montagne, c’est avoir conscience du monde qui nous entoure, de sa beauté et de sa fragilité aussi, de notre place dans le monde avec ses autres habitants, lagopèdes, isards, aigles ou papillons et tous les autres. Conscience et responsabilité à travers le rêve devant la réalité de la montagne. « Écoute l’oiseau chanter », comme l’a dit un jour Fukuoka Masanobu à Scott Slovic [Scott Slovic. Voyager pour penser. Engagement, retraite et responsabilité écocritique. Traduction de Françoise Besson, Toulouse : Presses Universitaires du Midi, 2023]. Jean Cazaban, en nous parlant de sa traversée des Pyrénées du Pays Basque au Canigou et à la Méditerranée, nous apprend à écouter l’oiseau, à sentir l’herbe mouillée, à voir la minuscule fleur qui montre discrètement sa couleur derrière un rocher, et à se rappeler avec émotion et joie le goût des myrtilles et des framboises partagées pour un moment avec les habitants de la montagne.
Jean Cazaban, Au-delà des horizons. Atlantique-Méditerranée, Haute Route Pyrénéenne - 30 jours, MonHélios, 2020.

Compte rendu rédigé par Françoise Besson